Suis-je le mieux placé

Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?

Lire, écoutr, parler

De Aidandiaye Petit

Parfum d’une fleur qui voyage en papillon

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(Intro) (Mise en place du problème) Être le mieux placé, c’est d’abord avoir la meilleure place, spatialement, par rapport à quelqu’un ou quelque chose, pour en parler, l’observer, le connaître. Ainsi, dans un premier temps, il semble que le mieux placé pour connaître quelqu’un sera une personne qui en est proche. Ma famille et mes amis, mes proches précisément, sont mieux placés pour savoir qui je suis, connaître mes pensées, mes sentiments, mon caractère, en un mot tout ce qui constitue ma personnalité, me constitue comme personne, qu’un parfait étranger. En ce sens, qui mieux que moi pourrait alors savoir qui je suis ? Qui pourrait alors être plus proche de moi que moi ? Il semble donc que j’occupe une place privilégiée à mon égard, me permettant, grâce à la conscience et à l’introspection, d’avoir accès d’une manière immédiate ou réflexive à la connaissance des moindres qualités me caractérisant et me définissant. Pourtant, être le plus proche ne signifie pas nécessairement avoir le meilleur point de vue. Au théâtre par exemple, je préférerais une place un peu éloignée de la scène, me donnant un peu de recul sur ce qui s’y passe, à une place au tout premier rang. Ainsi, si je suis le plus proche de moi, ai-je pour autant le meilleur point de vue pour me connaître, pour accéder à un savoir de moi-même, c’est-à-dire un discours vrai – dont la condition est l’adéquation avec son objet, avec la réalité du moi et non l’image que j’ai de moi, c’est-à-dire donc un discours objectif, neutre ? Or, en étant à la fois sujet et objet lorsque je pense à moi, lorsque je parle de moi, puis-je réellement prétendre à une objectivité sur moi ? Mais si je ne suis plus la mieux placée pour savoir qui je suis, qui le sera ? Les autres en ce sens ne sont-ils pas plus à même de me décrire objectivement ? Mais peut-on considérer tous les autres comme aptes à me connaître sans distinction, sans établir de différence entre tous ces autres ? Le sujet nous demande en effet de comparer ma position et celle des autres : on ne nous demande pas si je suis « bien » placée mais si je suis la « mieux » placée. C’est la raison pour laquelle nous comparerons les positions des uns et des autres.

Trianguler chaque action

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            (Problématisation) Il est donc difficile de dire si je suis la mieux placée pour savoir qui je suis. En effet, la place privilégiée que j’occupe en étant à la fois le sujet et l’objet de la connaissance de moi-même n’est-elle pas cela même qui m’interdit l’accès à tout savoir sur moi, c’est-à-dire à toute objectivité sur moi ?
            (Annonce du plan) Nous verrons dans un premier temps que je suis la mieux placée pour savoir qui je suis, car tout ce qui me constitue relève d’une intimité qui ne peut appartenir qu’à moi et reste fondamentalement inaccessible pour autrui. Pour autant, la conscience que j’ai de mon intimité constitue-t-elle un savoir au sens strict, c’est-à-dire une connaissance objective et vraie ? Dès lors, savoir qui je suis ne relève-t-il pas d’un mouvement perpétuel de va-et-vient entre moi et le monde extérieur, me permettant de lever les zones d’ombre de mon intériorité ?

(I) (Introduction) Savoir qui je suis, ce n’est pas savoir ce que je suis. Ce que je suis, c’est ma caractérisation d’objet, de chose, extérieure. Je suis un homme, un être raisonnable, un animal politique, etc… je peux donc savoir ce que je suis, sans savoir qui je suis, les autres également peuvent savoir ce que je suis sans savoir qui je suis. Savoir ce que je suis, c’est avoir la connaissance de la catégorie générale à laquelle j’appartiens, alors que « qui je suis », c’est mon identité de personne, individu à part, unique, distinct des autres. Dans ce sens, qui d’autre que moi pourrait mieux savoir quelle personne je suis, dans la mesure où j’ai la meilleure place qui soit : j’y suis !
(IA) (Idée et argument) Ainsi, seule moi peut savoir ce qui constitue mon histoire, la manière dont mon passé me constitue telle que je suis aujourd’hui. Ce savoir expérimental, s’appuyant sur la certitude et l’immédiateté de mon vécu ne peut appartenir qu’à moi. Aussi fragmentaire et partiale que soit ma mémoire, aussi linéaire et simple que soit mon histoire, elles constituent la personne que je suis aujourd’hui, mon caractère, mes comportements, mes qualités et mes défauts, en un mot la position que j’occupe dans le monde, le rapport que j’entretiens aux autres et au monde. Si mon histoire était différente, la personne que je suis serait différente. Mon identité est ainsi intimement liée à mon histoire et à la mémoire que j’en garde – que moi seule connais.  D’ailleurs, moi seule ai vécu cette histoire et donc ai suivi ma propre personne dans l’intégralité de son évolution.
(Référence) Bergson, dans La conscience et la vie, montre ainsi que la conscience, l’existence d’un sujet et d’une personne dans le monde, est rendue possible grâce à la mémoire, qui d’une part assure la continuité de la conscience – condition même de son existence car si nous n’avions aucune mémoire nous serions sans cesse en train de renaître et ne pourrions donc jamais dire « je » – et d’autre part rend possible l’action – qui s’appuie toujours sur le passé et ses leçons. L’intensité et l’étendue de cette mémoire n’est pas en question. Seul importe le fait que pour exister comme personne, c’est-à-dire comme individu capable de se poser dans le monde comme sujet, il est nécessaire de s’inscrire dans une temporalité longue, d’avoir une histoire. A cet égard, la mémoire seule ne suffit pas, l’anticipation s’avère tout autant nécessaire. En effet, ma capacité à savoir que j’ai un avenir, que je suis un être temporel, à imaginer et anticiper est également condition de mon existence comme sujet et de mon inscription dans le monde comme sujet.
(Conclusion) En ce sens, nous pouvons donc dire que je suis la mieux placée pour savoir qui je suis car mon identité de personne est constituée par ma manière d’être dans le monde grâce à ma capacité à m’inscrire dans une histoire qui n’appartient qu’à moi, que je suis la seule à avoir vécue, dont moi seule ai la mémoire.
(IB) (Transition) C’est bien le fait que mon vécu n’appartienne qu’à moi qui rend ma place privilégiée par rapport aux autres. En effet, même si je décidais de rendre compte intégralement aux autres de mon histoire, de mon vécu, de les raconter en exhaustivité en supposant que ma mémoire me le permette, pour autant, autrui serait-il dans la même position que moi ?
(Idée et argument) La barrière qui existe entre moi et les autres, n’est pas seulement qu’ils ne connaissent pas mon histoire, mais surtout qu’ils ne l’on pas vécue. Or, à cet égard, l’outil dont je dispose pour partager ces expériences, le langage, n’est-il pas inadapté ? Si je voulais me dévoiler intégralement aux autres pour qu’ils connaissent mon intimité aussi bien que moi-même, le langage me le permettrait-il ? Il semble bien que non, puisque, par définition, le langage est un outil général, dont l’intérêt est de nous fournir des mots uniques, généraux, pour désigner des réalités particulières. Pour parler de ma colère, de ma haine ou de mon amour, je dispose ainsi des mêmes mots que tous. Comment alors partager mon intimité avec les autres, comment leur faire savoir qui je suis, c’est-à-dire ce qui caractérise tous les mouvements de mon âme et de mes intimités ?
(Référence) C’est ce qu’explique Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception . Les autres ne peuvent me connaître que par analogie avec leur propre vécu, par lecture ou interprétation de mes comportements, et par la compréhension de mes paroles, mais rien de tout cela ne saurait se substituer au vécu qui est le mien : partager ou comprendre ce que je vis ou ce que je ressens, ce ne sera jamais, pour l’autre, le vivre ou le ressentir. Or, cette manière d’être dans le monde, de le ressentir et de le voir, est bien ce qui constitue mon identité propre, ce qui me distingue des autres, car elle est propre à chacun, unique. Elle est donc ce qui me définit au sens où elle est ce qui me caractérise et permet de me distinguer des autres.
(Conclusion) Non seulement donc je suis seule à avoir un accès direct à mon intimité, mais même si je décide de la transmettre, jamais je ne pourrai la faire vivre. En ce sens, savoir qui je suis, c’est-à-dire connaître, accéder à la réalité vécue de mon identité n’est possible d’une manière vraie, c’est-à-dire en parfaite adéquation avec la réalité de mon vécu, que pour moi. Dans la mesure où les autres ne peuvent connaître mon intimité que par analogie avec la leur, je reste la mieux placée, celle qui y accède directement, ni par analogie, ni par interprétation.
(Transition)L’identité d’une personne émerge dans le « je » que je suis seule à pouvoir prononcer pour moi. Mon intimité, la réalité intime et personnelle qui constitue la personne que je suis est engagée à chaque fois que – grâce à la conscience immédiate que j’ai de mon existence – je dis « je ». Ainsi, n’est-ce pas la conscience immédiate que j’ai de moi qui détermine qui je suis et ne saurait donc permettre aux autres de me connaître mieux que je ne me connais ?
(IC) (Idée et argument) En effet, si la connaissance de mon identité ne peut appartenir à personne d’autre mieux qu’à moi, c’est bien que la conscience est avant tout un acte personnel, que personne ne peut réaliser pour moi. La conscience, c’est-à-dire la certitude que j’ai de mon existence et des divers pensées et sentiments qui me traversent et m’animent, est un acte immédiat, lié à une personne et une seule. Qui mieux que moi pourrait décrire mes sentiments, développer mes envies, défendre mes idées ? Mon identité, toutes ces qualités qui me caractérisent, est ainsi constituée de tous ces mouvements qui m’animent et dont seule j’ai conscience. La conscience constitue ainsi le point fixe d’où part tout le reste et donc le fondement de toute connaissance adéquate de moi-même. Même si je ne peux pas nécessairement l’exprimer dans le langage adéquat, le fait que je sente un sentiment ou pense une pensée me constitue, détermine qui je suis, et moi seule peut en avoir une saisie immédiate.
(Référence) C’est bien ce qu’explique Descartes dans Les Méditations Métaphysiques. La conscience constitue non seulement une substance, c’est-à-dire un point fixe et immuable, mais aussi et surtout une certitude que je peux acquérir seule, sans jamais recourir à l’extériorité, puisqu’au contraire c’est de cette certitude que nous pourrons partir pour explorer tout le reste. L’expérience du doute montre bien donc que la conscience est le nœud de l’identité du sujet, le point de départ de tout le reste.
(Conclusion et transition) Ainsi, je suis la mieux placée pour savoir qui je suis au sens où qui je suis c’est d’abord l’ensemble des qualités qui me définissent, des mouvements qui animent mon intimité, et dont seule la conscience immédiate que j’en ai constitue un savoir adéquat. Autrui n’aura jamais qu’un accès indirect et donc déformé à ces informations. Si par savoir on entend connaître, disposer des informations relatives à un objet, je suis alors à l’évidence la mieux placée pour me connaître. En effet, la séparation entre intériorité et extériorité constitue un obstacle fondamental à la connaissance que les autres ont de moi et rend pour autrui définitivement perdu le savoir de qui je suis, c’est-à-dire de tout ce qui m’anime et me détermine.
Pourtant, la conscience de soi est-elle nécessairement une connaissance de soi ? Savoir qui je suis, cela ne signifie en effet pas seulement connaître par expérience le vécu qui me définit, amasser un maximum d’informations sur ma vie et ma personne, mais aussi être capable de me décrire d’une manière vraie (c’est-à-dire en adéquation avec la réalité de ce que je suis) et objective (d’un point de vue neutre et impartial). Le savoir, au sens de science, c’est ainsi bien ce discours qui décrit une chose, en adéquation avec ce qu’elle est et indépendamment de ce qu’est celui qui parle. Savoir qui je suis, au sens de connaître mon intimité, ne signifie ainsi pas nécessairement savoir qui je suis au sens de connaître d’une manière vraie et objective ce que je suis réellement. A cet égard, la proximité que j’entretiens avec moi-même ne peut-elle pas alors se révéler être un obstacle ? Comment pourrais-je parler objectivement de moi-même ? Les autres ne me sont-ils pas nécessaires pour avoir une image vraie de moi ?
(IIA) (Idée et argument) Si j’ai ainsi un sentiment de certitude immédiate de qui je suis, si spontanément, je répondrai « oui » si l’on me demande « sais-tu qui tu es ? », pour autant serais-je capable de me décrire comme pourraient le faire mes parents ou mes amis les plus proches ? Ce qui me manque avant tout, c’est la possibilité de me saisir dans des caractéristiques générales et fixes. L’introspection m’amène à prendre conscience de quelque chose en moi, pour autant est-ce connaître cette chose, ce sentiment et cette idée, et est-ce même connaître comme un objet qui a un ensemble de qualités générales ? Prendre conscience de mon vécu ne suffit à me connaître ni à me rendre capable de me définir puisque me rendre compte d’un sentiment me traverse, cela ne suffit pas pour me permettre de poser l’ensemble des caractéristiques qui me sont propres et me définissent comme objet.
(Référence) C’est ce qu’explique Kant dans sa Logique. Il y explique en effet que la connaissance suppose la conscience et donc que la conscience se distingue de la connaissance. Avoir conscience de quelque chose, est nécessaire mais pas suffisant pour le connaître, c’est-à-dire savoir ce que c’est comme objet. Kant prend l’exemple du sauvage qui voit au loin une maison : il aura certes conscience de la maison, sans pour autant la connaître, pouvoir la décrire comme objet d’une manière adéquate.
(Conclusion et transition) Ainsi, si la conscience de soi est une condition nécessaire de la connaissance de soi, elle ne suffit pas et, on peut par conséquent se demander si elle constitue aussi le meilleur point de vue. La différence entre moi et le sauvage est que moi je suis le sujet et l’objet de ma connaissance. Comment alors m’aborder moi-même comme un objet ? Comment accéder à une connaissance objective de moi ?
(IIB) (Idée et argument) Ne peut-on pas alors dire que les autres sont les mieux placés pour savoir qui je suis, c’est-à-dire accéder à la connaissance de l’objet que je constitue dans le monde ? En effet, seuls ils sont capables de me considérer comme un objet précisément, car je ne suis pour eux rien d’autre que cela, une entité dans le monde – certes un peu différente des tables et des arbres – mais qui comme les autres objets, leur est extérieure. Or, considérer quelque chose comme un objet est la condition de l’objectivité et donc du savoir. En effet, l’objectivité est la caractéristique d’un point de vue neutre, qui ne décrit que ce qui peut être tiré de l’objet lui-même, jamais de ce qui est propre au sujet en train de s’exprimer. La vérité se doit d’être objective, car la vérité qualifie un discours en adéquation avec son objet, c’est-à-dire précisément, qui décrit ce qu’est l’objet réellement. Ainsi, la vérité est universelle et absolue, c’est-à-dire n’est pas relative aux conditions de son expression, ne varie pas dans le temps ni dans l’espace. Pour savoir qui je suis, il faut donc pouvoir accéder à ce type de connaissance, objective et donc vraie, c’est-à-dire me départir de tout point de vue sur l’objet que je considère.
(Référence) C’est bien ce qu’explique Sartre dans La Naissance de Huis Clos. « Les autres sont au fond ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. »  Si les autres se trouvent ainsi accéder à un statut privilégié, c’est bien que seuls eux peuvent nous considérer extérieurement comme des objets. Ce sont tous les autres, qu’ils soient proches ou pas, et même moins ils sont proches (puisque les proches également peuvent ne pas être objectifs dans l’image qu’ils ont de nous. Ce n’est pas tant que nous pensons être ce que les autres pensent de nous, mais plutôt que pour nous connaître vraiment nous adoptons le point de vue que les autres ont sur nous, celui extérieur que nous ne pouvons simuler qu’en nous « mettant à la place des autres ».  Ainsi, notre point de vue n’est pas le meilleur. D’ailleurs, on peut comparer ce que je peux connaître de moi et ce que je peux voir de moi. Si je me contente de mon propre point de vue pour me voir, je n’aurai qu’une vision très partielle de moi. Pour me voir, je dois utiliser cet outil qu’est le miroir qui me permet d’adopter le point de vue d’autrui. Il en va de même pour la connaissance de soi. Si je me contente de mon point de vue, je ne me considère pas comme un objet car je ne suis pas spontanément un objet pour moi-même puisqu’au contraire je suis sujet et que les objets, c’est tout ce qui n’est pas moi, ce qui est extérieur à moi. C’est par les autres que j’apprends que je suis aussi objet et que je peux me considérer comme un objet. Lorsque j’élabore une image, une connaissance de moi, c’est donc le point de vue des autres que j’adopte et que j’essaie de reconstruire.
(Conclusion et transition) Pour autant, nous savons tous que l’image extérieure que je peux donner me paraît souvent seulement partielle, inadéquate voire fausse, ne pas correspondre à ce que je veux être ou pense être. Comment comprendre alors que les autres et le regard extérieur qu’ils ont sur moi constituent le meilleur point de vue pour me connaître d’une manière adéquate ?
(IIC) Si Sartre soutient cette idée, c’est que ce qui me définit, ce sont avant tous les actes que je réalise. Je ne suis jamais que ce que je fais. En effet, je peux avoir une image générale et abstraite de ce que je pense être, ce que je veux être, mais cette image ne sera vraie, adéquate à la réalité, que si mes actes confirment ces idées. Ainsi, les caractéristiques générales que je m’attribue n’ont de réalité que si mes actes les confirment. Pour que l’image que j’ai de moi ne soit pas illusoire ou fallacieuse, il faut qu’elle soit tirée de l’expérience. C’est justement en passant à l’acte que j’éprouve l’image que je me fais de moi et que j’en teste la validité. Dans la mesure alors où je me réalise dans l’extériorité, où c’est là que je pose les actes qui me définissent, les autres sont au moins aussi bien placés que moi pour me connaître puisqu’ils ont accès tout autant que moi à cette extériorité, et même mieux placés que moi puisque leur point de vue est extérieur et neutre.
(Référence) C’est ce qu’explique Sartre dans un autre de ses textes, L’existentialisme est un humanisme. « L’homme est seulement non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après l’existence, comme il se veut après cet élan vers l’existence ; l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » En effet, affirmer comme le fait Sartre que l’existence précède l’essence, c’est poser que ce que nous sommes, ce qui nous définit, qui nous sommes (l’essence) n’est rien d’autre que la ressaisie abstraite et idéelle que nous pouvons effectuer de ce que nous sommes en acte, ce que nous avons fait dans le monde. L’action me détermine, car je ne suis rien a priori, je ne suis rien tant que je n’ai rien fait.
(Conclusion et transition) Dans la mesure où le savoir suppose l’objectivité, nous venons donc de comprendre que savoir qui je suis c’est d’abord et avant tout adopter le point de vue des autres sur moi, c’est-à-dire un point de vue extérieur et objectif. Pour autant, accepterions-nous qu’un inconnu, aussi objectif qu’il soit sur nous, nous dise qui nous sommes ? Si les autres peuvent nous décrire objectivement, sont-ils les mieux placés pour nous comprendre et expliquer nos comportements ? En effet, le savoir ce n’est pas seulement la capacité à décrire une chose telle qu’elle est mais c’est aussi pouvoir l’expliquer, la comprendre, prévoir ses comportements, etc… Or, à cet égard, les autres ne sont pas égaux, d’une part parce que certains sont plus proches de nous, d’autre part également parce que nos attitudes changent en fonction du contexte, du milieu, etc… Dès lors, pour savoir qui je suis, me comprendre et expliquer mes comportements et mes pensées, quelle personne est la mieux placée ? Moi ? N’importe qui ? Quelqu’un en particulier ? Si le point de vue extérieur est meilleur et plus objectif que le point de vue intérieur, pour autant cela ne signifie nécessairement que la personne la mieux placée est autre que moi ?
(IIIA)L’hypothèse sur laquelle s’appuie Sartre est en effet celle d’une totale responsabilité de l’individu à l’égard de ses actes, c’est-à-dire d’une totale transparence possible de moi à moi – possible sinon réelle. Or, est-il ainsi possible de référer tous mes actes à une intention claire, à une volonté précise – à laquelle je pourrais accéder si je faisais l’effort d’être honnête avec moi-même ? N’y a-t-il pas des actes qui semblent indiquer que les seules données de la conscience ne suffisent pas à comprendre et expliquer toutes mes actions ? Des phénomènes comme les rêves, les lapsus ou les actes manqués, les raisons qui me poussent à être attirée par telle personne plutôt que telle autre semblent ainsi indiquer que la conscience ne nous permet d’accéder qu’à une partie des motivations qui déterminent mes comportements et mes actions m’échappent c’est-à-dire n’arrivent pas à ma conscience. Cela représente alors – pour moi comme pour les autres – un obstacle pour savoir qui je suis c’est-à-dire me comprendre.
(Référence) C’est ce qu’explique Freud dans Une difficulté de la psychanalyse. Dans ce texte, Freud explique que l’hypothèse de l’inconscient consiste à prendre acte du fait que les données de la conscience, les données dont nous pouvons avoir conscience et que nous pouvons référer à un « je » comme sujet, sont lacunaires et ne permettent pas de rendre compte de l’intégralité de la vie psychique. En effet, il existe des phénomènes qu’on ne peut attribuer à personne d’autre qu’à moi mais que pourtant je n’ai pas voulus faire – du moins consciemment. Alors, ni moi, ni un point de vue extérieur normal ne peuvent comprendre correctement mes actions ou mes paroles lorsqu’elles reflètent des pensées inconscientes qui restent par définition masquées et qui n’apparaissent à la surface qu’après avoir subi une opération de travestissement qui ne les rend pas reconnaissables.
(Conclusion et transition) Ainsi, je ne suis pas la mieux placée pour savoir qui je suis, me comprendre, mais pas moins que n’importe qui dans la mesure où pour moi, comme pour l’étranger, les actes produits par mon inconscients restent inexplicables et le regard extérieur de l’étranger ne suffit pas à les comprendre. Pour autant, faut-il admettre alors que notre identité réelle serait définitivement perdue, pour nous comme pour les autres ? Cela signifie-t-il que personne ne peut savoir qui je suis ?
(IIIB) Bien sûr que non ! Si Freud constate ainsi l’existence d’un lieu psychique caché au sujet tout en le déterminant au moins en partie, la psychanalyse propose aussi les moyens d’y accéder et de le déchiffrer. Ainsi, l’exercice même de la psychanalyse consiste, comme science, à accéder à un savoir à travers une méthodologie. Si Lacan dit que « l’inconscient est structuré comme un langage », c’est avant tout pour signifier que l’inconscient n’est pas accessible à tous, qu’il doit être interprété et décrypté. Or toute action de décryptage ou d’interprétation requiert que l’interprète possède le code de ce qui est à déchiffrer, possède une compétence particulière. Si savoir qui je suis doit enfin être entendu en son sens véritable, c’est bien qu’il y a une science du sujet – dont la psychanalyse nous propose une formalisation. Savoir qui je suis, ne m’est pas accessible directement, mais ne l’est pas non plus à tous, car la connaissance de soi s’appuie sur une science qui requiert donc des compétences et un savoir précis.
(Référence) C’est ce qu’explique Freud dans l’Abrégé de psychanalyse. L’hypothèse de l’inconscient ne remet pas en question la conscience. Elle ne consiste pas seulement à constater que la conscience seule n’est pas l’essence du sujet et qu’il existe tout un pôle non conscient et pourtant déterminant dans notre histoire – ce qui reviendrait à affirmer notre impuissance. Mais l’hypothèse de l’inconscient débouche également sur une pratique, la thérapie psychanalytique – qui permet de soigner et dont le but est bien de ramener à la conscience ces éléments inconscients. Ainsi, il est possible d’y accéder et c’est là la fonction du psychanalyste qui est doté pour cela de connaissances théoriques et de compétences techniques spécifiques qui lui permettent d’interpréter les signes extérieurs que nous lui fournissons (rêves, actes manqués, associations libres, etc…) pour en dévoiler le sens latent et les pensées inconscientes qui les ont générés. Nous avons besoin d’un regard extérieur parce que la conscience n’est pas fiable. Ce que nous apprend la psychanalyse, c’est en effet que le psychisme est structuré pour cacher des choses à la conscience, que la conscience est incapable de fournir des informations fiables et complètes sur notre identité.
(Conclusion et transition) Ainsi, si seule et immédiatement je ne peux savoir qui je suis, tout comprendre et expliquer de moi et sur moi, les autres semblent mieux placés mais seulement à la condition qu’ils possèdent une connaissance spécifique. Pour autant, ce processus et ce travail qui me permet d’accéder à la vérité sur moi-même n’est possible qu’à la condition que je le veuille, que je le fasse et que j’y participe. Ainsi, la pierre angulaire de la connaissance de soi ne reste-t-elle pas moi, quelques soient les adjuvants qui m’accompagnent dans cette quête ?
(IIIC) En effet, qui d’autre que moi peut effectuer cette synthèse me permettant, grâce aux informations auxquelles j’accède par moi-même, à celles qui me viennent des étrangers et celles qui me viennent de mes proches, de constituer pas à pas une image adéquate de moi. Nous pouvons ici finalement, enrichis du parcours qui a été le nôtre, revenir à ce que Descartes posait déjà : c’est bien ma seule conscience qui conditionne – comme point fixe – toute connaissance possible de moi. Certes, cette connaissance trouve son contenu dans l’extériorité, et le regard que je porte sur moi est imparfait et impartial. Mais à travers mes hypocrisies, mes parts d’ombre, mais aussi mes exigences à mon égard, se dessine une image adéquate de qui je suis. En effet, ce que je veux être, c’est qui je suis – c’est-à-dire précisément que la conscience – comme le reconnaît Freud lui-même – reste le prisme où se cristallisent le conscient et l’inconscient, le volontaire et l’involontaire, et où peut donc se lire l’intégralité de mon identité, même si elle ne s’y réduit pas. Moi seule suis d’ailleurs à même de faire la synthèse de tout ce qui peut être dit et connu de moi, par moi et par les autres. Du psychanalyste au psychologue, tous deux spécialistes du sujet, de ma famille à mes amis, je trouve dans ce que les autres pensent et savent de moi une source d’information qui vient compléter et rectifier mon point de vue partiel et partial.
(Référence) Les héros des romans d’apprentissage du XIXème siècle nous montrent ainsi comment l’identité se construit dans l’extériorité, dans l’adversité, comment réadapter ses espérances et projets en fonction de ce que nous imposent les autres et la réalité. Pour autant, seul l’individu lui-même reste le mieux placé pour savoir qui il est , car seul il peut synthétiser en sa conscience toutes ses informations, et parvenir à son identité jusque dans ce qu’il est et qu’il nie.  C’est ce que dit Hegel dans l’Esthétique. Certes, la conscience de soi n’est pas que théorique mais elle est aussi pratique, c’est-à-dire passe aussi par l’action et l’extériorisation de soi, dans la transformation du monde et dans l’action. Toutefois, c’est dans la conscience théorique, l’introspection et la pensée, que je peux accéder à mon essence, faire la synthèse de ces informations venues de l’extérieur et celle que je puise en moi, faire la somme de ce que je sais de mon intimité et de ce que j’apprend des autres et de mes actions, en faisant la part de l’essentiel et du superflu.
(Conclusion) Je suis donc la mieux placée pour savoir qui je suis. Certes ma proximité à moi-même s’avère dans un premier temps un obstacle, même si elle me permet de disposer d’une place de choix pour observer mon vécu et pour recueillir les informations me concernant. Pour autant, l’étranger seul, mes proches ou mon analyste, seuls, ne sauraient savoir qui je suis. Chacun m’apporte des éléments nécessaires mais fragmentaires pour reconstituer mon identité. Qui je suis, c’est d’abord cette personne qui s’inscrit dans le monde et y inscrit son projet d’existence. Ainsi, cette identité n’est accessible que dans l’intimité de ma conscience, qui n’appartient qu’à moi, et qui seule me permet de dire « je » et donc d’engager dans le monde cette personne que je suis – et ce en toute connaissance de cause.
La référence au texte de Locke étudié en cours est tout aussi pertinente pour cette sous-partie : je suis la mieux placée pour savoir qui je suis, c’est-à-dire moi ! Moi seule en ai une connaissance immédiate, intuitive et indubitable. Si je dis « je suis moi », pour les autres, il ne s’agit que d’une proposition creuse qui ne nous apprend rien. Pour moi, dire « je suis moi » c’est au contraire engager toute ma personne, me poser avec cette certitude indubitable que j’éprouve d’exister et d’exister en tant que moi qui accompagne chaque moment de conscience que je vis.
Pour cette idée, vous pouviez aussi utiliser le texte de Hume étudié en cours : il y est dit que l’introspection ne peut jamais que m’amener à prendre conscience d’une impression particulière, jamais à me saisir moi-même, la substance qui supporte toutes ces qualités, ce qui est pérenne à travers toutes ces impressions particulières.

A propos Sol

Hissons haut les Coeurs Heureux y sont les Sensibles Malheureux y sont les Résistants Intolérés y sont les Tolérants
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5 commentaires pour Suis-je le mieux placé

  1. Sol dit :

    [997] totems vengeance indolence [799989] Le Grand Avoir n° 14

    Organiser l’existant n’est pas un problème, c’est déjà une belle opportunité d’avoir de l’existant qu’il faut.

    Il se pourrait même que faire de l’existant qui ne tient pas la route puisse « nous » faire bouger~

    Le contenu vient aussi avec la forme.

    Avoir quelque chose de beau, ou simplement d’organisé, pousse les gens à participer.

    Il n’y a pas plus grand repoussoir qu’un foutoir invraisemblable.

    J’aime

  2. Sol dit :

    === [866768] L’Enthousiasme n° 16 ===

    On peut donc dire que médiumnité, channeling et voyance sont largement fondés sur une intervention d’entités désincarnées qui abusent l’humanité à partir de l’au-delà. II n’y a pratiquement aucune exception.

    L’expérience du channel peut être réelle, mais l’entité qui le contacte n’est jamais un messager divin appartenant à une hiérarchie régulière. C’est toujours un anormal de l’au-delà qui cherche des proies pour générer un courant d’énergie à son profit.

    Pourquoi se priveraient-ils avec les humains qui sont totalement illusionnés par les apparences ?

    Avant de vous lancer dans l’expérimentation occulte, demandez-vous d’abord pourquoi vous mériteriez d’être choisi pour une telle mission ?

    Êtes-vous une personne si importante qu’on puisse vous charger de messages d’une portée cosmique? II y a une arrogance colossale derrière cette prétention.

    Avec un peu de bon sens, on réalise combien l’attitude de ceux qui s’intitulent abusivement « messagers des Maîtres » est grotesque. Mais, on reconnaît l’arbre à ses fruits et l’analyse de leurs « messages » révèle souvent l’imposture. Cela pourrait n’être qu’un jeu, mais certains messages venant de l’occulte sont très dangereux car ils inversent les principes de l’évolution actuelle, ce qui flatte l’égo des gens mais les fait tomber dans une illusion effarante.

    C’est du satanisme à l’état pur, cela dit en dehors de tout fanatisme et sans référence à un dogme conservateur. II y a un satanisme à visage « blanc » et un autre « noir ». On confond le satanisme « blanc » avec le « bien ».

    C’est pourquoi dans le domaine spirituel, innombrables sont les êtres qui confondent l’apparence et la réalité.

    Dans leur enfance, on leur a pourtant lu l’histoire du loup au museau enfariné, mais lorsque ce méchant vient frapper à leur porte en bêlant des mots de paix et d’amour, ils se laissent prendre.

    Ah, les mots d’amour ! On trouve sur internet des quantités de sites new age qui ne parlent que d’êtres de lumière et d’amour. Une personne émotionnellement immature va se laisser pincer.

    Le but de ces messages n’est pas innocent. II sert à contrer l’action de l’Esprit de Vérité en créant une grille de vaine sentimentalité autour de la Terre.

    Mais le new age refuse tout débat critique.

    De nouvelles « révélations » paraissent quotidiennement. A quoi cela sert-il puisque ces messages à l’eau de rose se répètent inlassablement ?

    Joël Labuyère

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  3. Sol dit :

    === [868768] L’Enthousiasme n° 16 ===

    7 questions fondamentales

    Je résume cette situation par 7 questions : des questions que je vais formuler et énoncer maintenant et que je ne formulais pas exactement ainsi entre 12 et 18 ans. Aujourd’hui avec le recul je sais qu’elles étaient potentiellement présentes.

    N° 1 Qu’est-ce que je fais sur cette planète ?
    N° 2 Pourquoi suis-je comme je suis ?
    N° 3 Pourquoi m’est-il arrivé ce qui m’est arrivé ?
    N° 4 Que va-t-il m’arriver demain ?
    N° 5 Puis-je espérer être vraiment heureux un jour ?
    N° 6 Comment faire pour être vraiment heureux ?
    Y a-t-il un code, un mode d’emploi ?
    N° 7 Quel est la destinée de l’humanité ?

    Jacques-Gérard Vésone

    A chacun de relier ou non ces questions
    aux sept états du moi, définis par l’Analyse Transactionnelle

    Notons entre la question n° 6 et la question n° 7 , deux sous-questions qui fonctionnent comme des chocs additionnels pour les intervalles entre [do-si] et [mi-fa], dès que l’on considère les sept questions comme une gamme majeure, alors nous retrouvons un ennéagramme, avec l’énoncé de ces 7 questions chacune, miroir fulgurant et sans forme du Disciple Intérieur Évolution Universelle, enflé du Désir Imbécile d’Eclairage Universel que trahit tout atome d’azur, en forme de ciel, aux yeux d’éclipse, sous les traits des étoiles, jusqu’au très fond d’âme mentale…

    Un petit dessin vaut certes mieux qu’un long discours, cependant notons que l’ennéagramme présenté n’est, ici, qu’une forme parmi d’autres formes, uniformes et formules des transformations de chaque ennéagramme.

    Créons-nous un excellent aujourd’hui

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