Ce que n’est pas le Yi King

Les 64 trigrammes
Les 64 hexagrammes

Le Yi Jing n’est pas un livre

Un livre possède un début, un développement et une fin. Le Yi jing se présente sous la forme d’un répertoire, d’un catalogue de 64 situations-types.

Tout le texte canonique (un peu plus de 4000 mots) tient sur une double feuille recto-verso. La taille habituellement imposante des ouvrages consacrés au Yi Jing est due aux commentaires sur le texte initial, voire aux commentaires sur les commentaires, ou encore à des digressions cherchant à plaquer le modèle des 64 hexagrammes sur des systèmes philosophiques, énergétiques, ésotériques, etc.

Mieux encore si l’on considère, comme certains, que le texte canonique ne sert qu’à éclairer la perception, la compréhension des hexagrammes le Yi Jing se réduit alors à 64 « figures » composées de 6 traits continus ou redoublés.

– Le Yi Jing n’est pas « la Bible des Chinois »

Contrairement à de nombreux textes sacrés le Yi Jing n’a pas été « révélé » à l’homme par Dieu. Il ne contient aucun mystère. Il ne nécessite aucune foi.

Il aide simplement à penser le monde de façon pragmatique en préconisant la « voie rationnelle ».

En ce sens ce livre fondateur de la pensée rationnelle chinoise ne peut être comparé qu’au livre fondateur de la pensée rationnelle occidentale : « Le discours de la méthode ».

– Le Yi Jing n’est pas un livre de philosophie.

« Au temps du repos, l’homme noble considère les signes et se plaît à lire les textes.

Au temps de l’action, il observe les changements et se plaît à faire la consultation »

C’est un livre de sagesse parce que c’est un livre d’action : ce qui intéresse les chinois n’est pas de décrire le monde, mais d’y vivre.

– Le Yi Jing n’est pas un livre taoïste

Texte fondateur de la pensée chinoise le Yi Jing a inévitablement nourri les pensées taoïste, confucianiste et bouddhiste chinoise sans appartenir à aucune d’entre elles. C’est précisément à cause du succès du bouddhisme en Chine que les moines taoïstes ont en quelque sorte été réduits à pratiquer « le Yi Jing du marché » et pour ce faire à arborer encore de nos jours les trigrammes sur leurs vêtements.

Une autre source de confusion provient de l’usage du mot « tao » dans le Yi Jing, en particulier dans la phrase habituellement traduite par « Un aspect Yin, un aspect Yang c’est le Tao ». Le mot « tao » existait dans la langue chinoise bien avant la notion de taoïsme. Il désignait au départ simplement une route, un chemin et a pris ensuite le sens figuré de cheminement, évolution des choses de la vie. Ce n’est que bien plus tard qu’on lui a donné l’acception utilisée dans le taoïsme.

– Le Yi Jing n’est pas un livre divinatoire

Il ne prédit pas l’avenir. Il souligne les forces en présence au moment de la consultation. L’avenir n’y est évoqué que comme la conséquence probable du potentiel actuel… qui peut lui aussi changer.

– Le Yi Jing ne décrit pas l’état actuel des choses

Il en décrit le mouvement. Un peu à la façon d’une photographie capable de figer l’apparence de l’instant, mais incapable d’arrêter les objets qu’elle représente.

 

– Le Yi Jing n’est pas un miroir

Souvent assimilé à une sorte de « tarot chinois », le Yi Jing ne nous présente pas un reflet de la réalité sur un mode projectif. Un miroir ne nous montre que la forme, l’état des choses. Le Yi Jing en souligne les tendances, les potentiels en action, de la même façon qu’une boussole Feng-Shui (Luo Pan) ou la prise de pouls en énergétique chinoise renseignent sur les dynamiques en action.

– Le Yi Jing n’est pas un vieux livre chinois

C’est le Yi Jing qui a été le socle de la pensée chinoise et non l’inverse. « Lorsque le doigt montre la lune, l’idiot regarde le doigt. » Les textes qui nous sont parvenus ont bien été écrits il y a longtemps par des chinois. Mais si les lois du changement décrites par le Yi Jing ont été appréciées des anciens chinois, c’est à cause de leur caractère intemporel et universel.

GLISSER DU DEFINI AU PERPETUEL
– « Yi Jing » ?

Traduisant « Yi » par « Changement » et « Jing » par « Classique, Livre fondateur » on obtient « Classique des changements ». Culture et pensée chinoise reposent traditionnellement sur cinq classiques, cinq livres fondateurs. Promu depuis la dynastie des Han en tête de ces classiques, le Yi Jing devait autrefois être appris par cœur par les aspirants fonctionnaires.

– Pourquoi la notion de changement est-elle primordiale pour les chinois ?

La Chine a toujours été un peuple de la terre et sédentaire, constitué pour l’essentiel de paysans. L’agriculture prend appui sur les alternances de climats, de saisons. Dans l’idéogramme « Yi » apparaissent les graphies « soleil » et « pluie ». Alternance de soleil et de pluie, c’est tout ce que demande un paysan pour faire fructifier son travail. « La seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout change toujours tout le temps… ».Par analogie avec la culture du végétal, les chinois ont vérifié de façon pragmatique que « Comprendre et prévoir les flux de la vie pour dynamiser son effort personnel conduit inévitablement à la croissance ».

– En quoi le Yi Jing a-t-il influencé la pensée chinoise ?

Le Yi Jing est à l’origine de l’ensemble de la pensée chinoise. L’écriture chinoise a été en partie conçue et utilisée pour mémoriser les formules oraculaires.

Penser avec des idéogrammes (puisqu’on pense toujours avec les mots avec lesquels on écrit) conduit à considérer la globalité comme une évidence. L’écriture chinoise utilise des zones du cerveau différentes de celles requises par la lecture alphabétique : le cerveau gauche traduit les mots occidentaux en additionnant la séquence des lettres qui les composent. Les idéogrammes chinois sont lus par le cerveau droit, celui de la « reconnaissance de forme », le même qui nous permet de reconnaître le visage d’une personne des années après. Ce cerveau est capable depuis une vision globale de déduire l’essentiel.

Taoïsme, confucianisme, bouddhisme chinois, médecine chinoise, fengshui, arts martiaux chinois… se sont tous nourris de cette approche globale s’exprimant par alternance et complémentarité.

– Comment le Yi Jing est-il considéré aujourd’hui en Chine ?

Le Yi Jing est d’une part considéré comme une superstition de l’ancienne société : celui dont nous parlons habituellement est le Yi Jing des lettrés, le Yi Jing confucéen, mais il en existe une dérive vulgaire « le Yi Jing du marché », avec lequel des devins prédisaient le futur aux paysans illettrés contre rétribution, un peu comme nos cartomanciennes et autres diseurs d’horoscope. Assimilé à une superstition de l’ancien système féodal, sa pratique « divinatoire » a donc à ce titre été officiellement interdite …interdiction bien entendue appliquée selon l’humeur politique du moment !

Le « Classique des Changements » est d’autre part regardé comme un trésor de l’ancienne Chine, racine de la civilisation chinoise. Des dizaines de professeurs sont payés par le gouvernement pour l’étudier et exposer leurs conclusions au cours de symposiums internationaux sur l’art de « gérer l’imprévu ». Des résultats remarquables sont en effet obtenus par l’application de la vision « Yi Jing » à la gestion des séismes ou l’analyse des rapports de force dans une entreprise.

– Et le Yin Yang dans tout çà ?

« Yang est ce qui a envie de devenir Yin. Yin est ce qui a envie de devenir Yang » (Wang Bi, philosophe chinois du 3e siècle) .

L’analyse des idéogrammes permet de traduire cette dynamique par « Yang : le soleil se sépare de la pluie », « Yin : les nuages s’accumulent ». Ces deux notions représentent bien autre chose que des états : au pire elles décrivent un changement d’état. Ce sont plus précisément des changement de climat, de saisons, l’évocation de la variation de la trame, du fond qui constituent les événements et sur lesquels s’appuient nos actions. Nous sommes loin de la traduction la plus répandue de Yin-Yang : Féminin-Masculin. Homme/Femme sont en effet des catégories stables. On s’incarne inévitablement et de façon définitive homme ou femme. Cette vision « sexuée » néglige donc l’essentiel : la capacité à manifester sous des formes apparemment opposées un même flux selon des variations cycliques (alternances jour/nuit ou saisons).

Et c’est dans le Yi Jing qu’apparaît la première description synthétique du couple Yin Yang : « Un yin, un yang, c’est ainsi que cela fonctionne ». Il s’agit bien ici d’un couple (au sens énergétique !), comme celui constitué par les deux bras d’un pédalier, semblant agir en directions inverses, mais participant et nourris d’un même élan. Le génie de la pensée chinoise réside par-dessus tout dans la représentation au sein du Yi Jing de Yin et Yang sous la forme élémentaire de traits redoublés ou continus. Grâce à cette abstraction géométrique l’élaboration Yin Yang des hexagrammes permet en effet à n’importe qui de lire et (potentiellement… !) de comprendre l’organisation dynamique des 64 situations-types du Yi Jing sans nécessairement apprendre le chinois ou lire une traduction.

– Quel peut être l’apport du Yi Jing à la pensée occidentale ?

Notre vision cartésienne a pour socle la culture judéo-chrétienne, elle-même ancrée dans la pensée platonicienne. Y sont développées les notions de vérité (par essence éphémère) et d’idéal (par essence inaccessible). L’intellect occidental, passant de l’idée à l’idéal, court le risque de mettre hors d’atteinte ce qu’il vise et s’efforce cependant de se rapprocher au plus près de la définition parfaite, du modèle imaginé. Il utilise d’ordinaire pour ce faire une approche « en ligne droite » cherchant à relier situation de départ et objectif par la voie géométriquement la plus courte. En cours de route, l’analyse de l’évolution des circonstances et la comparaison au « modèle initial » conduit à réviser l’orientation, voire le modèle. On pourrait résumer cela par « voie du raisonnement ». Négligeant les « définitions définitives », le Yi Jing suggère lui aussi l’adaptation aux circonstances, mais observe également que le contexte va inévitablement changer, évoluer vers des formes présentant une forte analogie avec des situations déjà vécues. L’expérience montre par exemple qu’après la saison chaude viennent inévitablement humidité et froid globalement analogues à ceux que nous avons connu l’automne et l’hiver précédents. On pourrait résumer cela par « voie rationnelle ». Le Livre des Changements s’attache donc à nous révéler les germes, les potentiels contenus dans la situation actuelle. Loin de nous dévoiler l’inconnu, il nous permet simplement de reconnaître par analogie ce que nous connaissons déjà. Ayant identifié ce qui est « porteur » on le chevauche alors pour réaliser ses objectifs, ou au pire attendre le moment propice. Le Yi Jing permet ainsi à la pensée occidentale de glisser du « défini » au « perpétuel ».

YI JING par Alain Leroy

3 commentaires pour Ce que n’est pas le Yi King

  1. Sol dit :

    Chasseur et pêcheur, le peuple chinois apprit l’art de domestiquer les animaux vers le XLVe siècle avant J.-C. Le souverain qui régnait à ce moment était du clan Fong, Le-Vent ; on le surnomma Fou-hi le-Dompteur et P’ao-hi, le-Bou¬cher (4.447 à 4.363 avant J.-C.). Il inventa le premier système d’écriture : groupes de trois traits pleins ou brisés formant huit combinaisons, les « huit koua » (pa koua) qui se retrouvent sur un grand nombre de vases anciens. Les traits pleins portent le nom de yang, mâle ; les traits brisés, celui de yin, femelle. Les combinaisons de six de ces traits placés l’un au-dessus de l’au-tre sont au nombre de 64.

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  2. pibeste dit :

    Le spécialiste est un esprit typiquement masculin toujours prêt à dégainer pour imposer son point de vue. Bien malin celui qui pourrait se contenter du texte canonique 大篆,graphie ancienne, j’en ai fait l’étude exhaustive, nonobstant je me rabats sur le texte en 小篆,l’écriture classique, celle des dix « ailes » nécessaires à la bonne compréhension du 易经,c’est à dire le texte tel que l’a transmis Confucius à la postérité.
    En graphie ancienne le 易 du mot 易经 Yi King est un caméléon, la partie supérieure du caractère représente la tête de l’animal, la partie inférieure le corps agile et souple de l’animal. Là encore ce n’est pas une interprétation c’est l’explication canonique du 像形( c’est à dire de l’une des 364 images existantes dans la langue chinoise et dont le 易 fait partie).
    Le grand homme sera quant à lui un être typiquement féminin qui portera en lui les idées jusqu’à leur terme et ne se mettra en avant que pour protéger ce qui lui semble crucial.
    易经 par Maurice Béné

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